Les vapeurs de la nuit : explorer autrement le monde des morts.

Pour ce dernier billet de l’année, je vous présente la toute nouvelle collection Vapeurs de la nuit. À l’origine de cette collection, il y a l’exposition Trugarez la Bretagne, qui s’est déroulée à la boutique Merci Paris à l’automne dernier. L’exposition avait pour but de mettre en avant l’artisanat breton, un joli prétexte pour explorer autrement une culture que l’on réduit encore trop souvent à ses clichés.

La collection Vapeurs de la nuit rend hommage au célèbre tableau du peintre Yan’ D’argent. Peinte au XIXe siècle, l’œuvre représente une nuée vaporeuse de silhouettes éclairées par le clair de lune. J’avais à cœur de capter cette impression fantastique en imaginant cinq médaillons inspirés par cinq créatures étranges issues du folklore breton. Une occasion pour moi de replonger dans mes racines culturelles et de m’interroger autrement sur notre rapport à l’impermanence et au cycle naturel de la vie.

Je suis née et j’ai grandi dans le Finistère, une région toute proche de la mer, battue par les vents et très ancrée dans la culture bretonne. Durant toute mon enfance, mon adolescence et les premières années de ma vie d’adulte, je ne me suis questionnée ni mes racines ni sur l’influence qu’avait eu la culture bretonne sur mon imaginaire. C’est en évoluant au rythme de Fontennoy que j’ai naturellement trouvé logique de prendre le temps de me retourner et de me pencher sur ce qui avait nourri, même inconsciemment, une part de cet attrait pour le merveilleux. En fouillant ma mémoire, j’ai repensé aux soirées pyjama party entre copines qui s’accompagnaient d’histoires de fantômes bretons, de sorties scolaires rythmées par des lectures de contes au coin du feu et de visites de boutiques, remplies de livres illustrés sur les fées et lutins de Bretagne.

L’Anaon ou comment cohabiter avec le monde des défunts.

Si mon regard d’adulte a changé, il me permet de mieux comprendre ce qui se cache derrière les histoires de revenants et les figures légendaires. Pour les anciens Bretons, la toile du quotidien est tissée de fils appartenant à la fois au monde des morts et des vivants. La mort n’est plus un simple changement de condition mais un voyage vers un autre monde qui appartient au cycle inéluctable de la vie. Cette symbiose entre les deux mondes prend la forme, dans le folklore breton, d’un immense peuple d’âmes errantes nommé Anaon, qui circule en totale liberté dans tous les espaces de notre quotidien. Objet d’un profond respect, l’Anaon est à l’origine de croyances et de rites populaires censés assurer la bonne cohabitation des vivants et des morts.

Au quotidien, la nuit constitue le royaume exclusif de l’Anaon, et l’on doit y pénétrer avec beaucoup de précautions afin d’éviter de troubler les esprits errants. On évite par exemple de siffler la nuit et on prend toujours garde à prévenir les âmes errantes avant de passer dans un talus planté d’ajoncs. Ce rapport étroit avec le monde des morts se resserre d’ailleurs à certaines dates clés de l’année comme les fêtes de la Saint-Jean, de la Toussaint ou de Noël, où les âmes des trépassés entrent en pèlerinage et reviennent visiter leurs proches.

Trouver de la possibilité dans l’impermanence :

En me penchant sur l’univers de l’Anaon, j’ai réalisé que la mort n’était pas considérée comme un tabou ou un objet de crainte : elle faisait partie du quotidien et revêtait presque une forme de banalité. C’est quelque chose qui me parle beaucoup, car j’y vois une opportunité de me rapprocher d’un phénomène qui demeure résolument absent de nos quotidiens d’urbains modernes. Notre rapport à la mort a largement évolué au cours des siècles et, aujourd’hui, il reste cantonné à un événement exceptionnel et tragique qui ne fait pas partie de notre normalité. On ne veille plus nos morts, on ne visite plus les cimetières et on a depuis longtemps oublié les naïves histoires de fantômes et de revenants.

Au-delà de l’effroi que ce phénomène, pourtant inéluctable, peut générer, j’y vois une invitation à trouver de la confiance et de la possibilité dans l’impermanence qui habite notre quotidien. Anatole Le Braz résume mieux que moi en quoi cette instabilité peut être source de vie et de beau : «Aussi pressées que les brins d’herbe dans les champs ou que les gouttes d’eau dans l’averse sont les âmes qui font sur terre leur purgatoire.»