Culte solaire et l’écho des croyances populaires

L’année dernière, j’ai sorti ma deuxième collection, Culte Solaire, deux ans après Abysses. Je réalise, en écrivant ces lignes, que la marque fêtera en mai ses trois ans. Comme à chaque anniversaire, on n’échappe pas à cette introspection naturelle qui nous invite à faire le point sur ce qui a changé en nous. J’ai naturellement pensé à parler de Culte Solaire pour illustrer toutes les évolutions qui se sont dessinées entre le lancement de la marque début 2022 et la sortie de sa deuxième collection, deux ans plus tard.

Lorsque j’ai imaginé Abysses, le monde sous-marin me paraissait être un formidable prétexte créatif pour imaginer des pièces qui me ressembleraient. L’envie de raconter des histoires était déjà présente, mais encore en germe, et pas tout à fait consciente. Lorsque j’ai décidé de sortir une deuxième collection, j’ai naturellement eu envie de raconter une histoire avant de créer une pièce, de dérouler tout un narratif dont le bijou serait presque un simple accessoire, et d’inviter les personnes à entrer dans un univers construit.

Aux sources de cet univers se trouve tout un système de rituels anciens, baigné par la lumière vacillante des feux de joie, des processions aux chandelles et par le soleil déclinant de l’été. C’est une collection qui évoque aussi tout un ensemble d’odeurs de sous-bois et d’herbes odorantes chauffées au soleil. Elle me ramène à l’amour sincère que je porte aux croyances populaires et au folklore rural.

Le merveilleux comme prolongement de l’ordinaire : le culte du soleil et la peur de l’obscurité.

Ce que j’aime avec le folklore rural et les croyances qui l’accompagnent, c’est qu’il s’inscrit, à l’origine, dans un quotidien très ordinaire et difficile, marqué par la vie agricole et par le lent rythme des saisons. Le rapport à la lumière et au soleil y est très particulier, puisque de ces deux éléments dépendent des choses très factuelles comme l’abondance des récoltes et la survie d’une communauté. Mais on y perçoit des éléments plus abstraits, comme le rapport au temps, le besoin de sécurité et l’attrait pour le merveilleux.

Dans l’ancien calendrier breton, issu de la mémoire celtique, l’année était divisée en deux périodes cruciales : celles des calendes de mai et celles des calendes de l’hiver, qui débutaient en novembre. Les calendes de mai étaient marquées par le retour du soleil et par le culte des divinités du feu liées notamment à la fertilité des champs. De ce culte découlent des rituels et des fêtes, dont certaines survivent encore aujourd’hui.

La fête de la Saint-Jean : un lien ritualisé avec la nature.

La Saint-Jean est une fête que l’on retrouve partout à travers le monde et qui coïncide, à quelques jours près, avec la date du solstice d’été. D’origine païenne, la fête servait de rempart symbolique contre l’obscurité, les rigueurs de l’hiver et les esprits malfaisants qui l’accompagnaient. Ensuite dédiée à Saint Jean pendant la phase de développement du christianisme, c’est une fête que l’on célèbre encore aujourd’hui et qui marque la journée la plus longue de l’année, avant que les jours ne raccourcissent progressivement et n’amorcent l’arrivée de l’hiver.

La Saint-Jean, c’est une fête que je perçois comme très sensorielle. C’est ce que j’avais à cœur de transmettre en créant les boucles d’oreilles Herbes de la Saint-Jean. À travers toute l’Europe, on retrouve des rituels qui consistent à cueillir des herbes et des fleurs qui ne poussent qu’en juin, pour les brûler le soir de la Saint-Jean ou les accrocher chez soi. En Lettonie, la chercheuse Céline Bayou explique que, pour chasser les mauvais esprits et les sorcières pendant le solstice d’été, on décorait sa maison et ses champs de branches de sorbier. Elle raconte qu’aujourd’hui encore, la veille du solstice d’été, appelée le Jour des herbes, est dédiée à la cueillette de branches de bouleau, de chêne, de sorbier et de fleurs sauvages, qui serviront à décorer les espaces domestiques, les animaux et le chef de famille.

En France, on retrouve les herbes de la Saint-Jean qui fleurissent aux alentours du 24 juin, et dont certaines sont liées à d’anciennes croyances. C’est le cas, par exemple, de l’orpin remarquable, que l’on accrochait au plafond de la chambre pour qu’il porte bonheur, ou de l’aneth fenouil, dont on passait les rameaux dans le feu de la Saint-Jean pour éloigner les sorciers. En Gascogne, on bouchait même les trous de serrure avec des brins d’aneth pour éviter que les esprits malfaisants ne s’introduisent dans les maisons !

C’est une fête qui entretient un étroit rapport à la nature et qui se rapporte au passage cyclique des saisons. À Locronan, dans le Finistère, un grand hêtre est planté sur la place de l’église à la fin du mois d’avril, afin de célébrer l’arrivée de l’été. C’est cet arbre que l’on fera débiter par des jeunes du village avant de brûler ses branches dans le feu de la Saint-Jean. Ce choix du hêtre serait lié à d’anciennes traditions celtiques, qui faisaient de cet arbre le symbole du réveil de la nature, puisqu’il était le premier à feuillir lorsqu’arrive la belle saison.

À Fontenoy-le-Château, en Lorraine, la Saint-Jean est l’occasion, pour tout le village, d’ériger de gigantesques répliques en bois de gâteaux d’anniversaire, de ponts ou de vaisseaux spatiaux, que l’on brûle la nuit du 24 juin. Débarrassée de ses considérations religieuses, la Saint-Jean est aujourd’hui une occasion de se réunir et de se sociabiliser autour d’une vieille coutume dont on a peut-être oublié l’origine.

Pour ma part, je constate aujourd’hui que de nombreuses créatrices et nombreux créateurs se souviennent de cet héritage et reviennent aux sources de ces croyances et de ces rituels. Je pense y voir un besoin de revenir à ses racines et d’interroger autrement notre rapport aux traditions.

Revenir à ses racines et explorer autrement la culture bretonne

Si Fontennoy est un hommage direct à Fontenoy-le-Château, petit village situé dans l’Est de la France, mes racines restent résolument bretonnes. J’ai grandi dans le Finistère et je vis depuis une dizaine d’années en Ille-et-Vilaine. Jusqu’à il y a peu, je questionnais peu mon rapport à ma culture de naissance. Je crois que, sans le vouloir, je reliais mes racines à un ensemble d’images caricaturales qui ne m’attiraient pas toujours.

Pourtant, la culture bretonne repose sur un terreau riche et encore vivace, qui trouve ses racines dans d’anciennes traditions païennes issues du monde celte et dans l’arrivée tardive du christianisme. Ce vaste ensemble forme un univers tentaculaire qui laisse une grande part au merveilleux et à un lien ritualisé avec la nature.

Pendant la création de Culte Solaire, je me suis replongée dans les contes qui forment l’univers merveilleux breton. C’était l’occasion pour moi de me poser des questions sur nos manières de penser et d’envisager le monde qui nous entoure.

L’un de ces contes parle notamment de Mona Kerbili, une jeune fille ordinaire attirée par le monde sous-marin et par la civilisation engloutie qu’elle renferme, celle des Morgan. Séduite par l’un d’eux, elle abandonne tout ce qui a pu constituer son ordinaire pour aller vivre sous l’eau. Les années passent, et le souvenir de sa vie passée sur terre la tourmente.

Touché par sa tristesse, son époux lui accorde de revenir sur terre, en lui faisant promettre de revenir. Mais Mona Kerbili ne peut pas vivre entre deux mondes et, une fois sur terre, le souvenir de sa vie passée sous l’eau s’efface peu à peu pour s’évanouir totalement. Il n’est pourtant pas perdu et, par une nuit d’orage, Mona Kerbili est rappelée à la mer par son mari avant de disparaître à jamais dans les flots.

Si le sens profond de ce conte est perdu, j’y vois une manière de parler de la place que l’on occupe dans le monde et du rapport complexe que l’on entretient avec nos racines. On peut penser que ces thèmes nous touchent particulièrement lorsque l’on vieillit, mais je pense qu’ils sont universels et intemporels. Ils sont présents dès l’enfance et continuent de nous toucher différemment tout au long de notre vie.

Pour moi, Mona Kerbili nous rappelle que trouver sa place dans le monde découle parfois de choix difficiles, et s’accompagne souvent de compromis. C’est pourtant cet exercice inconfortable, qui ne trouve jamais tout à fait de résolution, qui nous offre la possibilité d’explorer de nouveaux ailleurs et de grandir.

Aujourd’hui, je pense que nous avons la chance de vivre dans un monde où nous pouvons faire le choix de nous souvenir et d’honorer des récits, des rituels et des coutumes qui parlent, très simplement, de notre humanité. C’est une manière de réinvestir des traditions qui, dépouillées de leur caractère normatif, nous replongent dans l’état d’esprit — qui n’est pas si différent du nôtre — de nos ancêtres et de leurs manières d’envisager le monde.

L’ethnologue Yvonne Verdier parle, elle, d’instinct de la coutume : « La coutume se chante, se danse, se boit, se rêve, se célèbre, se joue (...), elle ne se pense ni se raconte, elle se fait, elle agit, elle se vit, et, pour qui la vit, elle est indivisible et ne donne pas prise à la réflexion. »

C’est une pensée rassurante de se dire que toutes ces coutumes oubliées et ces flots de magie imperceptibles soutiennent discrètement nos sociétés actuelles. Je crois que c’est une opportunité pour nous de percevoir des fragments de permanence dans un monde toujours changeant.